Le lexique du journalisme et celui des sciences sociales
Les Presses Universitaires de Grenoble viennent de publier un manuel d’études sur le journalisme que j’ai rédigé sous la forme d’un dictionnaire de concepts utiles pour comprendre cette activité et issus des recherches menées dans les sciences sociales autant que de la réflexivite propre au monde du journalisme lui-même.
Voici le texte de la brève introduction de ce dictionnaire :
Le journalisme est par nature une activité publique. Celle-ci suppose que soient collectés des propos ou des faits au contact de leurs auteurs et de leurs témoins mais aussi que soient publiées puis commentées les productions issues de ces reportages, interviews, enquêtes. Le travail des journalistes accède aussi fréquemment à une autre forme de publicité : celle, presque intime, que confère une présence ininterrompue dans la culture populaire : films, romans, bandes dessinées et aujourd’hui séries télévisées mettent régulièrement en scène des journalistes. Pour ces deux raisons au moins le journalisme attire l’attention comme peu d’autres activités dans nos sociétés. Il est aussi investi de significations variées et souvent contradictoires, de la fascination à la répulsion. Au fur et à mesure que la presse — puis d’autres médias : la radio, la télévision et maintenant le web — envahissait notre quotidien, chacun de nous s’est pour ainsi dire transformé en un petit théoricien du journalisme. Comme l’a remarqué en effet l’historien Michael Schudson, dans les démocraties, « tout le monde est un critique des médias » (Michael Schudson, « In all Fairness », Media Studies Journal, 1998).
Mais le critique spontané des médias qui sommeille en chacun de nous utilise souvent des termes forgés dans des contextes très différents du sien et dont la pertinence contemporaine est douteuse (comme ceux de censure ou de propagande par exemple). Il emploie parfois d’autres termes dont le sens est brouillé par les voyages qu’ils ont accomplis d’un continent à l’autre (il suffit de penser à l’expression chien de garde) ou dont les contours sont difficiles à définir parce qu’ils sont tirés d’expressions utilisées par les journalistes eux-mêmes, souvent sans souci de la précision ou d’éviter l’ambiguïté (comment distinguer par exemple le journalisme undercover du journalisme infiltré ou en immersion ?). Pour finir, à court d’arguments, il peut se réfugier dans l’interpellation, l’insulte ou la généralité (ainsi du récent journalope ou, dans un autre contexte, de l’expression fake news).
Les journalistes eux-mêmes sont en partie responsables de cette situation. En France en particulier ils cultivent souvent une représentation de leur activité qui en fait un art personnel que l’on ne pourrait pas analyser, peu codifier et encore moins apprendre dans les livres ou sur les bancs de l’Université. Mais les spécialistes du journalisme et des médias ont aussi leur part de responsabilité dans la mesure où ils ne cherchent pas toujours — et de moins en moins — à discuter leurs concepts dans des arènes publiques pour contribuer à la discussion entretenue par la société sur leur objet d’étude.
Ce dictionnaire se donne pour ambition de mettre à la portée de tous les mots de la critique du journalisme et des médias, particulièrement ceux qui sont issus des recherches menées dans les sciences sociales sur cette activité depuis son apparition et sa diffusion spectaculaire à la fin du XIXème siècle. Pour chacun des termes retenus on a essayé de retracer son origine, de clarifier son sens et d’expliciter les enjeux intellectuels de son utilisation tout en indiquant des pistes d’approfondissement pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin. C’est en ce sens qu’il faut entendre le terme « critique ». Le lexique qui est présenté ici n’est pas un lexique « amoureux » du journalisme. Il n’est pas non plus un lexique technique ou folklorique. C’est le lexique de celles et ceux qui souhaitent comprendre comment fonctionne le journalisme en société et comment les sciences sociales se sont petit à petit armées de concepts pour ce faire. Ce livre peut donc aussi se lire comme une introduction aux études sur le journalisme et les médias. Toutes celles et ceux qui cherchent à comprendre le fonctionnement du journalisme et des médias — au premier rang desquels les étudiantes et étudiants qui se destinent au journalisme ou qui ont choisi de l’étudier — trouveront dans ce dictionnaire un compagnon à même de leur donner accès aux mots et aux idées qui leur permettront de complexifier et de mieux articuler leur critique des médias.