Gendered News, le site qui mesure l’effacement des femmes dans les médias (Télérama)
Entretien avec Pauline Demange-Dilasser paru dans Telerama le 17 mai 2022. Voir la version en ligne à cette adresse.
Les hommes occupent les trois quarts des citations dans la presse quotidienne nationale française. C’est le constat hebdomadaire d’une équipe de chercheurs grenobloise qui analyse la presse à l’aide d’une intelligence artificielle.
En un coup d’œil sur deux compteurs colorés, le site Gendered News (« Actualités genrées ») permet chaque semaine de se rendre compte de la part des hommes cités et mentionnés dans la presse quotidienne nationale française. Et le constat est sans appel : le taux de masculinité se situe autour de 75 %. Un chiffre alarmant, qui révèle à quel point les femmes sont en grande partie effacées de la scène médiatique.
Le phénomène des inégalités de genre dans les médias fait déjà l’objet de nombreuses études. Mais le groupe de chercheurs de l’Université Grenoble Alpes, à l’origine de Gendered News, souhaitait aller au-delà des recherches ponctuelles. « Tous les cinq ans, le très gros programme d’enquête du GMMP (Global Media Monitoring Project) donne une fenêtre de visibilité sur la place limitée des femmes dans les médias. Nous, nous voulons proposer un rappel toutes les semaines », soutient Gilles Bastin, professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques de Grenoble.
Plutôt que de décortiquer à la main chaque article, Gilles Bastin, ainsi que François Portet, professeur d’informatique spécialisé dans le traitement automatique du langage, et la doctorante Ange Richard ont mis au point une approche fondée sur l’utilisation d’une intelligence artificielle. Un algorithme a ainsi été programmé pour reconnaître le genre des prénoms mentionnés, mais aussi l’auteur ou l’autrice des citations. Près de trois mille articles provenant des sites de sept grands quotidiens nationaux, L’Équipe, La Croix, Le Figaro, Le Monde, Le Parisien, Les Échos et Libération sont épluchés chaque semaine.
En collectant des données qui mesurent les écarts de représentation en continu, l’équipe de recherche peut ainsi apprécier leur évolution dans le temps. « Nous souhaitons provoquer une prise de conscience. Car la régularité est très frappante : jour après jour, semaine après semaine, nous arrivons au même résultat. Cela démontre qu’il y a des normes sociales très puissantes derrière. »
“Quand un homme et une femme cosignent des articles, le pourcentage d’hommes cité baisse systématiquement.”
En parallèle du site Web public, un travail plus approfondi avec les rédactions de Mediapart et de l’AFP a également permis de souligner quelque faits simples. « Les verbes utilisés dans les articles pour introduire les citations des hommes et des femmes sont très stéréotypés. Les rubriques sont souvent genrées : nous avons par exemple observé que les rubriques “investigation” sont plus masculinisées. Mais aussi que quand un homme et une femme cosignent des articles, le pourcentage d’hommes cité va systématiquement baisser », poursuit Gilles Bastin.
Dans un futur proche, l’équipe de chercheurs ambitionne d’augmenter et de diversifier les sources, en s’ouvrant à la presse quotidienne régionale, aux sites Web de chaînes de télévision ou aux pure players. Grâce à la publication hebdomadaire des mesures, ils souhaitent provoquer un débat public autour de ces inégalités mais aussi une prise de conscience de la part des médias. « Beaucoup de rédactions ont tendance à être fatalistes en considérant que ce n’est pas leur faute, mais celle de notre société inégalitaire. » Pourtant, grâce à quelques techniques simples liées à leurs choix éditoriaux (comme utiliser l’annuaire Les Expertes pour trouver des interlocutrices), ces journaux ont la capacité de ne pas aggraver ces inégalités, voire de participer au changement.